Par Karine Bechet-Golovko
Alors que dans le discours, Biden propose soi-disant de désamorcer les relations avec la Russie, c’est en tout cas ce qu’il affirmait à Poutine par téléphone, il vient d’adopter de nouvelles sanctions, visant les capacités financières de la Russie et sa dette souveraine – puisque Poutine n’a toujours pas répondu à sa « proposition », manifestement impérative, d’une rencontre cet été. Appelons les choses par leur nom, c’est du chantage. La Russie est sommée de se soumettre … ou elle devra sortir de sa posture défensive.
Lors de son entretien téléphonique du 13 avril avec le Président russe, Biden affirmait vouloir trouver une sortie de crise, qui ne remettrait pas en cause les intérêts américains. Et une rencontre avec Poutine avait été proposée, dans les mêmes conditions que Reagan proposait une conciliation à Gorbatchev (voir notre texte ici).
D’ailleurs Gorbatchev, confirmant ainsi son rôle actif dans la destruction de l’Union soviétique, trouve la proposition excellente. Des pays nordiques se proposent pour recevoir les deux Chefs d’Etats. Des scénarios politico-médiatiques se mettent en place. Bref, la pression est à son maximum. Et pour cause, la tentation est grande de remporter une victoire sans se battre …
Mais le Kremlin garde ses distances. Peskov déclare que rien n’est prévu pour les prochaines semaines, que la question de la date n’est pas encore à l’ordre du jour, que l’on en est toujours à analyser, en soi, l’intérêt de cette proposition.
Bref, Poutine n’a pas voulu endosser les oripeaux de Gorbi, la Russie n’est plus celle de la fin des années 80, l’Occident avec ses cultes minoritaires, ses populations enfermées, son libéralisme écrasé n’a plus de modèle attrayant à proposer – le miroir aux alouettes s’est brisé. Reste la force.
La force militaire est trop dangereuse – pour l’instant. Des conflits localisés, qui utilisent des forces tierces, comme en Ukraine ou en Syrie, soit, mais un affrontement direct risquerait d’entraîner un changement trop radical et trop imprévisible des rapports de force. Et … pour quelle cause envoyer des armées étrangères se battre pour l’Atlantisme … D’ailleurs, les deux bâtiments de guerre américains, le Roosevelt et le Donald Cook, ont fait machine arrière et ne se dirigent plus vers la mer Noire.
Les sanctions sont de bonne augures dans cette configuration. Mais elles durent depuis longtemps et la Russie a eu le temps de les intégrer comme une donnée. Les Etats-Unis sont donc obligés d’aller de plus en plus loin, avec un effet direct limité contre la Russie, tout en provoquant, des effets politiques secondaires, dont ils se passeraient bien, mais qui sont inévitables.
Ainsi, Biden a adopté un ordre exécutif (publié ici en anglais) voulant toucher la Russie sur le plan financier. Ce n’est pas une surprise pour les autorités russes, qui attendent même (et s’y préparent) qu’à terme les Etats-Unis les bloquent des plateformes de paiement internationales. Ici, il s’agit principalement de bloquer le refinancement de la dette souveraine sur les marchés d’obligation :
« Treasury issued a directive that prohibits U.S. financial institutions from participation in the primary market for ruble or non-ruble denominated bonds issued after June 14, 2021 by the Central Bank of the Russian Federation, the National Wealth Fund of the Russian Federation, or the Ministry of Finance of the Russian Federation; and lending ruble or non-ruble denominated funds to the Central Bank of the Russian Federation, the National Wealth Fund of the Russian Federation, or the Ministry of Finance of the Russian Federation. This directive provides authority for the U.S. government to expand sovereign debt sanctions on Russia as appropriate. »
En plus de cela, des sanctions individuelles ont été adoptées contre 6 compagnies de hautes technologies russes, sur le fondement des fameuses cyberattaques, contre 32 entités morales et physiques pour ingérence dans les élections de 2020. Et d’autres sanctions sont annoncées pour l’affaire « SolarWinds ». Les Etats-Unis incitent également les Européens à adopter des sanctions individuelles sur le fondement de l’Ukraine et de la Crimée. Et n’oublions pas l’Afghanistan, etc. L’avantage des sanctions, c’est qu’il n’est pas nécessaire de prouver en justice la culpabilité pour entrainer la responsabilité et que l’on peut punir plusieurs fois pour la même accusation.
L’explication de Biden publiée dans le New York Times mérite de s’y arrêter : il a choisi de ne pas aller trop loin, d’être proportionnel, car il veut améliorer les relations avec la Russie (en adoptant des sanctions) … et propose encore une rencontre à Poutine pour cet été. Qui a eu l’outrecuidance de ne pas accourir à plat ventre lors de la première invitation …
“I chose to be proportionate,” Mr. Biden said in comments at the White House, describing how he had warned President Vladimir V. Putin of Russia of what was coming in a phone conversation on Tuesday. “The United States is not looking to kick off a cycle of escalation and conflict with Russia. We want a stable, predictable relationship,” he said, offering again to meet Mr. Putin in person this summer in Europe. So far, the Russians have not responded to that offer.
C’est bien la technique primitive du baton et de la carotte, qui est mise en jeu par l’Administration américaine, cherchant ainsi à tester la résistance de la Russie, à la fois dans sa politique extérieure et en ce qui concerne la stabilité intérieure du pays.
Mais ce jeu durant depuis longtemps, la Russie, que ce soit le Gouvernement ou la population, sont habitués. L’effet psychologique des premières sanctions est depuis longtemps passé, peu pensent sérieusement qu’elles pourraient être levées par l’obéissance et le renoncement à soi. Si des effets négatifs sur l’économie sont inévitables, cette stratégie des sanctions américaines produit beaucoup d’effets politiques positifs collatéraux. Tout d’abord, les sanctions décrédibilisent les groupes néolibéraux pro-atlantistes, qui ont infiltré le pouvoir, et diminuent leur influence objective – comment peut-on suivre l’avis de ceux qui soutiennent une puissance ouvertement hostile ? Ensuite, elles obligent la Russie à se concentrer sur ses propres forces de production, ce qui va à l’encontre de la politique de désindustrialisation lancée sur le mode du « nouveau monde post-industriel », où l’on n’a plus besoin de produire – car nous sommes tous devenus virtuels et l’on achète tout ce qui est produit en Chine.
Source : Russie politics
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