Des Palestiniens et des Israéliens protestent contre les expulsions forcées à Sheikh Jarrah
dans Jérusalem-Est occupée en mars 2020 / Heather Sharona Weiss ActiveStills

Par Tamara Nassar

Israël commet une Nakba permanente à Jérusalem-Est occupée.

Des organisations de colons menacent d’expulser par la force 15 familles palestiniennes de leurs domiciles à Jérusalem dans les quelques mois à venir.

Cela correspond à 37 maisonnées et à environ 195 individus, selon le groupe palestinien de défense des droits humains Al-Haq.

Les familles résident dans le secteur de Karm al-Jaouni, quartier de Sheikh Jarrah, et dans le secteur de Batan al-Hawa, quartier de Silwan.

En novembre, des tribunaux israéliens se sont prononcés en faveur de groupes de colons et pour l’expulsion de familles palestiniennes.

Les groupes en question sont Nahalat Shimon International – une entreprise déclarée aux États-Unis – et Ateret Cohanim – une organisation de colons de droite.

Ces deux organisations contribuent à mettre en œuvre la colonisation de terres et biens palestiniens par le gouvernement israélien à Jérusalem.

Au bout de sept décennies

En février, un tribunal de district de Jérusalem a débouté six familles vivant à Sheikh Jarrah qui avaient formé un appel contre leur expulsion.

Selon l’organisme de surveillance de la colonisation israélienne La Paix maintenant (Shalom Akhshav/Peace Now), chaque famille a disposé d’un paragraphe pour argumenter en faveur de son maintien dans les quatre maisons où ces personnes vivent depuis presque 70 ans.

Selon La Paix maintenant, les familles de Sheikh Jarrah possédaient avant la Nakba de 1948 des maisons et des terres dans ce qu’on appelle aujourd’hui Israël.

Devenus des réfugiés, ces femmes et ces hommes sont venus vivre dans le secteur de Karm al-Jaouni, quartier de Sheikh Jarrah, et habitent dans des maisons construites par le gouvernement jordanien et par les Nations unies pour les réfugiés palestiniens dans les années 1950, après la Nakba.

En échange de promesses de propriété de la terre et des biens, les familles ont renoncé à certains droits que l’UNRWA, agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, pouvait leur assurer en vertu de leur situation de réfugiés.

Lorsqu’Israël a occupé la partie Est de Jérusalem, en 1967, les titres de propriété de la terre et des biens ne leur avaient jamais été transférés en bonne et due forme.

Les groupes de colonisateurs israéliens ont profité de l’absence de ces documents légaux et ont lancé une bataille juridique pour expulser ces familles par la force.

Les décisions judiciaires ont été rendues possibles par un amendement à la Loi israélienne de 1950 sur la Propriété des Absents.

Cette loi autorise Israël à confisquer des terres et des biens appartenant à des réfugiés palestiniens ayant fui leur maison ou en ayant été expulsés pendant et après la Nakba – le nettoyage ethnique de la Palestine réalisé en 1948 par des milices sionistes.

En vertu d’une modification apportée à cette loi en 1970, Israël a autorisé les Juifs à entrer en possession des biens qu’ils étaient censés avoir quittés à Jérusalem en 1948, mais n’a pas accordé le même droit aux Palestiniens – ce qui constitue une mesure manifestement discriminatoire.

Le tribunal a enjoint aux familles du secteur de Karm al-Jaouni de quitter leur domicile avant le 2 mai.

D’autres familles ont reçu l’ordre de partir avant le mois d’août.

Tandis que ces familles sont forcées de quitter les maisons où elles ont vécu pendant sept décennies parce que cette terre est censée avoir appartenu à des Juifs avant la Nakba, les mêmes familles n’ont pas la permission de revenir dans les maisons qu’elles ont été contraintes de fuir avant 1948, exclusivement parce qu’elles ne sont pas juives.

Une Nakba permanente 

Selon le groupe palestinien de défense des droits humains Al-Haq, Israël “applique de façon illicite à un territoire occupé la législation nationale israélienne” en mettant en œuvre cette législation à Jérusalem-Est.

Une coalition de 14 organisations de défense des droits humains, y compris Al-Haq, a envoyé un appel urgent aux experts des Procédures spéciales des Nations unies au début de ce mois [mars 2021] en les alertant sur les expulsions forcées imminentes à Jérusalem-Est occupée.

“Les Palestiniens de Jérusalem-Est continuent de subir une Nakba permanente”, déclare Al-Haq, “car ils continuent de se voir refuser leur droit inaliénable au retour dans leurs demeures, leurs biens, leurs terres.”

Les actions intentées par les groupes de colons s’intègrent à une “démarche organisée destinée à déposséder une communauté palestinienne de son foyer et à établir à sa place une colonie à Sheikh Jarrah”, affirme La Paix maintenant.

Des colons arrivent dans la demeure des El-Kurd après que la moitié de cette maison a fait l’objet d’une expulsion en 2009 /
Oren Ziv (ActiveStills)

Depuis le début de l’année, Israël a détruit ou confisqué plus de 30 constructions palestiniennes dans Jérusalem-Est occupée, privant de tout abri plus de 50 personnes dont plus de la moitié sont des enfants.

“Si le gouvernement ne met pas fin à ces opérations”, prévient La Paix maintenant, “nous risquons d’être témoins d’expulsions massives de familles dans les mois à venir.”

“Le tribunal n’est qu’un instrument … que les colons utilisent avec l’aide attentive des autorités étatiques pour commettre le crime de déplacement d’une communauté entière et de son remplacement par des colonies”, affirme La Paix maintenant.

“Nous n’avons nulle part où aller”

La famille de Mohammed El-Kurd est une de celles dont l’expulsion forcée est prévue à Sheikh Jarrah avant le 2 mai.

“Ma famille, tout particulièrement, attend, que sais-je ? Un miracle divin ?” explique El-Kurd, 22 ans, à The Electronic Intifada.

El-Kurd est né à Jérusalem et il y a grandi. Sa famille vit depuis 1956 dans leur maison de Sheikh Jarrah.

À 18 ans, il est parti continuer ses études aux États-Unis.

El-Kurd se dit terrifié quand il pense à sa famille, dont sept membres vivent dans leur maison de Sheikh Jarrah.

“Nous n’avons nulle part où aller, nous n’avons pas de lieu où habiter, nous n’avons pas l’argent ni les finances nécessaires” indique-t-il à The Electronic Intifada.

En 2009, raconte El-Kurd, la moitié de la demeure familiale a été confisquée par Elad, une organisation dont l’objectif déclaré est de “judaïser” Jérusalem-Est en y installant autant de colons israéliens que possible.

Un effort dans la durée

Des centaines de Palestiniens de Sheikh Jarrah et de Silwan affrontent également des procédures judiciaires lancées par des groupes de colons.

OCHA, le groupe de suivi des Nations unies, a estimé en 2019 qu’environ 877 Palestiniens, dont 391 enfants, sont menacés  d’expulsions forcées pratiquées essentiellement par des organisations de colons.

Les colons ont recours à des procès qui sont, selon Al-Haq, “longs, épuisants, trop coûteux” pour les résidents palestiniens ciblés.

Les tribunaux israéliens mettent un coup de tampon sur ces procédures pour qu’elles aient l’apparence d’affaires résolues légalement dans le cadre du système judiciaire d’Israël alors que la véritable motivation est de chasser purement et simplement les Palestiniens de la ville.

Israël crée déjà, selon Al-Haq, un “environnement coercitif” pour les Palestiniens de Jérusalem-Est occupée en emmurant, en isolant et en détruisant les quartiers palestiniens, pour finir par les forcer à quitter la ville.

Les yeux braqués sur Sheikh Jarrah

Les yeux des colons sont depuis un moment braqués sur le quartier de Sheikh Jarrah.

L’ Israel Land Fund, organisation de colons de droite dont le but est de chasser les Palestiniens de leur terre et de les remplacer par des Israéliens juifs, joue un rôle crucial dans cette opération.

Arieh King, directeur et fondateur de l’organisation, a tenu dans le Jerusalem Post en 2017 les propos suivants : “Sheikh Jarrah, ou Shimon Hatzadik, traverse une révolution, et nous en verrons les résultats dans environ cinq ans.”

L’Israel Land Fund promeut sur son site web une “opportunité d’investissement” en encourageant les investisseurs à acheter des parcelles dans le secteur de “Nahalat Shimon”– le nom attribué à un secteur qui comprend la plus grande partie de Sheikh Jarrah et d’autres parties de Jérusalem-Est occupée où vivent des Palestiniens.

Le groupe ne fait pas mystère de ses motifs : “Notre but est d’acquérir la plupart des parcelles du secteur” et, selon la version officielle, de les nettoyer des “Arabes qui y ont édifié des constructions illégales ou qui les mettent en location.”

Michael Lynk, rapporteur spécial des Nations unies sur la Palestine, a prévenu au début de l’année de l’expulsion imminente des Palestiniens de la ville.

Selon Lynk les zones ciblées “ne sont pas choisies au hasard mais sont centrées de façon stratégique sur un secteur de Jérusalem-Est appelé le Bassin historique.”

La Paix maintenant et Ir Amim, un groupe israélien qui recueille des éléments sur l’activité de colonisation à Jérusalem, ont précisé dans un rapport de 2016 que le but des groupes de colonisation était de “consolider le contrôle” du prétendu Bassin historique et de créer une réalité démographique “irréversible” sur le terrain.

Au mois de février, Israël a démoli, forcé les personnes à démolir et a confisqué plus de 150 constructions palestiniennes.

“Ce chiffre est en quatrième position pour les données recueillies en un mois” depuis que le groupe de suivi a commencé en 2009 à recueillir systématiquement des éléments. Israël a donc privé de tout logement plus de 300 Palestiniens.

Malgré la guerre sans relâche menée contre les Palestiniens dans Jérusalem-Est occupée, ces femmes et ces hommes sont décidés à tenir bon.

“En dehors de Sheikh Jarrah, je n’ai pas le sentiment d’avoir une identité. Je ne me sens pas à ma place  en dehors de Sheikh Jarrah”, a déclaré El-Kurd à The Electronic Intifada.

Source : The Electronic Intifada

Traduction SM pour Agence Média Palestine

Source : Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/…