Par Naram Sarjoun
Naram Sarjoun est un écrivain syrien iconoclaste qui a surgien 2011 avec le début de la guerre planétaire contre la Syrie. Son pseudonyme est inspiré par l’histoire multimillénaire de la Syrie. Sa vraie identité n’est pas encore révélée. Qu’importe ! Sa plume acérée d’un style inimitable, un condensé d’histoire, de géographie, de philosophie, de spiritualité, de mythologie, s’est transformée en une redoutable arme de résistance contre la barbarie qui s’est abattue sur son pays. Ses chroniques publiées sur Internet,massivement reprises par de nombreux sites de contre-information et de ré-information, apportent l’espoir aux cœurs de ses compatriotes confrontés au flot ininterrompu de mensonges déversés par des médias au service du plan ourdi par les puissances occidentales dans le but de détruire la Syrie rebelle et insoumise.
Dès 2012, c’est avec des mots justes que Mouna Alno-Nakhal l’a présenté au public francophone : « Son regard, sa poésie, son amertume et son optimisme à toute épreuve pourraient ne pas intéresser les journalistes [occidentaux]. Il n’empêche qu’en tant que citoyen syrien éclairé, il mérite une lecture attentive de son analyse de certaines facettes d’une partie de poker menteur qu’il est convenu de désigner par la ‘crise syrienne’. Ses articles s’adressent au cœur et à la raison… Pour répondre à tous ceux qui s’interrogeaient sur son identité, Naram Sarjoun a fini par se présenter ; ‘je suis un Syrien amoureux de ma patrie’. » [1]
Ici, il s’agit de la traduction de l’un de ses derniers articles : un hymne à un autre grand syrien, le père Elias Zahlaoui. Nos lecteurs ont eu l’occasion de lire ses multiples lettres ouvertes au Pape (et aux « grands » de ce monde) pour attirer son attention sur le martyr du peuple syrien. De son lieu de convalescence, malgré la fatigue physique et son âge, cet homme de Dieu ne baisse pas les bras et continue son combat contre ceux qui font du mal à sa chère Syrie. Il vient de publier, à l’occasion du dixième anniversaire de la tragédie syrienne, un livre au titre évocateur : « Guerre et paix en Syrie » en trois langues : arabe, français et anglais, que nous vous offrons en format numérique en fin de cet article. [2]
Dans sa préface à ce livre-événement, le géopolitologue français Alain Corvez, ami de longue date de la Syrie, grand résistant contre l’hégémonisme occidental et surtout dénonciateur de la scandaleuse soumission des élites françaises au dictat étatsunien, écrit à propos de l’auteur : « Le Père Elias est un homme calme et pondéré́, mais cela ne l’empêche pas d’être exaspéré́ par les mensonges répétés sur la situation au Moyen-Orient et en Syrie en premier lieu. Par ses lettres aux Chefs d’États, aux Souverains Pontifes et aux évêques du monde, ainsi que par ses nombreux écrits, il a rappelé́ l’implacable vérité : la Syrie est attaquée par des hordes barbares islamistes, soutenues ouvertement ou indirectement, par les puissances occidentales, la Turquie voisine et les monarchies du Golfe, qui veulent renverser un gouvernement légal, laïc, qui refuse de se soumettre à leur idéologie. »
Alors que le livre était encore sous presse, Abouna Zahlaoui, indigné par le silence étourdissant de la hiérarchie ecclésiastique face aux souffrances des Syriens victimes du cynisme occidental, a écrit une énième lettre ouverte au Pape François [3]. Une lettre sans concession, un cri du cœur contre la démission de l’Église, adressée aussi bien au Souverain pontife qu’aux chrétiens trahis par leurs dirigeants qu’il appelle à s’indigner contre un tel manque de courage. En voici un extrait :
«Sainteté,
Demain se fermera la boucle des dix années de guerre cosmique et illégale, menée contre ma patrie, la Syrie, sans pour autant stopper !
Pendant ces années infernales, vous avez réussi, avec votre prédécesseur, le Pape Benoît XVI, à garder un silence lourd, lourd de beaucoup de questions… vous contentant d’inciter à la prière pour la Syrie.
Que de fois, je me suis interrogé, et je vous ai interrogé, dans mes nombreuses lettres ouvertes, si vous n’aviez pas d’autre chose à dire, à propos de la Syrie, même lors de votre récent voyage en Irak.
Seriez-vous donc ignorant du fait des horreurs que la Syrie a subies, et de ce qu’on s’obstine à lui faire subir, pour l’anéantir ?
Auriez-vous oublié que le Christ Jésus a voulu, il y a deux mille ans, choisir à Damas même, et non à Jérusalem, celui qui était son pire ennemi, Saül de Tarse, pour en faire, à Damas même, le plus grand apôtre qu’a jamais connu le Christianisme ?
Auriez-vous aussi oublié le rôle décisif que la Syrie d’alors a joué durant les sept premiers siècles, quant à l’enracinement du Christianisme et à son expansion ?
Auriez-vous oublié enfin ce que la Syrie a par la suite, inventé et fondé, à partir de 636, au niveau des bonnes relations entre les musulmans et les chrétiens, et par la suite entre eux tous et les juifs, durant les siècles suivants jusqu’à nos jours, relations dont tout l’Occident d’aujourd’hui ferait bien de s’inspirer, avant qu’il ne soit trop tard ?» [3]
Dans cette chronique dédiée à Abouna, Naram Sarjoun exprime son admiration et son affection pour ce prêtre arabe catholique qui lui a appris à retrouver le chemin de Damas, le chemin de l’amour et de la résistance à l’injustice : « Ne me blâmez donc pas si je vous dis que malgré cette guerre, mon cœur est devenu la capitale de l’amour, à cause de la voix d’un prêtre. »
La résilience de la Syrie doit énormément à l’action, à la voix et au verbe de ce témoin engagé. Il nous rappelle, par son courage, son esprit rebelle, son sens de la justice, un autre grand homme de l’Église, syrien comme lui, Saint Jean bouche d’Or connu aussi pour sa franchise et sa propension à dire les vérités qui dérangeaient ses disciples. [Majed Nehmé]
***
Article de Naram Sarjoun
Chaque fois que je suis entré dans la mosquée des Omeyyades, j’ai été saisi d’une émotion indéfinissable devant le majestueux sanctuaire de Jean le Baptiste.
En plein milieu de la mosquée des Omeyyades se loge un symbole chrétien géant, tel le cœur qui se loge dans le corps, comme s’il priait avec nous et que nous priions avec lui.
Oui… un cœur chrétien bat dans le corps de la mosquée des Omeyyades, comme s’il incarnait toute la relation de l’Islam avec le Christianisme du Levant, et que la mosquée risquait de mourir s’il en sortait ou qu’il risquait de s’arrêter de battre si elle mourait.
J’avoue qu’au cours de cette guerre, j’ai douté de toutes les religions et que je m’en suis plaint à Dieu. Et ce, parce que j’ai vu comment Abou-incendiaire alias Abou Lahab [4] a surgi de son Coran et nous a sauté dessus avec sa femme portant son bois pour nourrir le feu. J’ai vu comment Abou-ignorance alias Abou Jahl nous a massacrés au fil de son ignare épée [5]. J’ai vu comment Judas l’européen nous a embrassés, nous a vendus et nous a crucifiés.
Mais j’avoue aussi que mon cœur est toujours resté bien accroché comme le cœur de Jean le Baptiste est resté rivé à la mosquée des Omeyyades, car j’ai entendu la voix du moine levantin Bahira [6] me dire : « Ne t’inquiètes pas ô fils de mon frère ».
Oui…c’était bien la même voix que « Abouna » [7], le Père Élias Zahlaoui qui n’a cessé d’agir pour atténuer nos peines et dont j’entendais la voix calme et amicale au milieu du vacarme des perfidies islamistes, des aboiements wahhabites, des hurlements ottomans et des fourberies européennes. C’était comme si j’entendais la voix d’un prêtre du Levant répéter aux oreilles du Prophète les nobles paroles du moine Bahira en l’enveloppant de ses prières et cantiques.
Ne me blâmez donc pas si je vous dis que malgré cette guerre, mon cœur est devenu la capitale de l’amour, à cause de la voix d’un prêtre.
Oui… j’ai été touché par la foi de Bahira à travers la voix d’Élias Zahlaoui, lequel me donnait à entendre la certitude de Jean le Baptiste en dépit du sang des martyrs. Et plus je l’entendais, plus j’étais certain de la victoire.
Et, à chaque fois que je l’ai entendu calmer la peur des uns et apaiser le cœur des autres face à la destruction d’une église par les terroristes, pour que les cloches ne sonnent plus jamais dans notre Levant, je me suis juré de les faire sonner à partir du minaret de la mosquée des Omeyyades et de chanter à la gloire de Dieu au sein même de son mihrab, pour que les cloches et les cantiques ne cessent jamais de sonner et de résonner.
Comment ne pas apprécier Bahira et comment ne pas vénérer Jean le Baptiste en associant son nom à l’appel à la prière après avoir entendu leurs voix à travers celle du patriote Élias Zahlaoui ?
Et que pourrais-je vous offrir, très cher Abouna, à l’occasion du dixième anniversaire de la victoire remportée selon les recommandations du moine Bahira quant aux hordes des adorateurs du Veau d’or ? Qu’offrir à celui qui a tenu la place du père de tous ? Comment honorer la blessure du Christ qui s’est sacrifié pour l’humanité ?
Je mesure, cher Père, la tristesse de Damas quand elle réalisera le nombre de décorations accordées à ceux qui ont démérité et l’ont trahie, alors que celui qui mérite les plus hautes distinctions est occupé à prier et à travailler pour son salut ; celui qui en dépit de son âge porte une pierre après l’autre pour construire la Syrie et appelle les Syriens à apporter leur petite pierre, comme il l’a fait en adressant un message à tous les Syriens :
« Dans quelques jours s’achèvera l’épisode des dix années de guerre sur la Syrie. Cette guerre universelle injuste qui se poursuit avec une rare sauvagerie, notamment depuis l’imposition du blocus économique à toute la Syrie, néanmoins restée debout. Elle a défié le monde entier. Certains sont venus l’aider, mais c’est grâce à sa force intrinsèque qu’elle a pu résister ; sa direction exceptionnelle, son armée légendaire et son peuple particulièrement patient ayant tous contribué à cette prise de position historique.
De mon côté, j’ai essayé de jouer un rôle à travers certains de mes écrits dont le plus important me semble être un dernier ouvrage, petit par sa taille, mais grand par son contenu et sa dimension historique passée et à venir. Un petit livre intitulé « Guerre et Paix en Syrie » dont la publication par les éditions « Dar Dalmoun – Damas », en arabe et en anglais, coïncidera justement avec la fin de cet épisode de dix années de guerre universelle sur la Syrie. J’ai le grand espoir qu’il puisse contribuer, ne serait-ce que légèrement, à nourrir l’esprit de résistance du peuple syrien dans toutes ses composantes, son armée et ses dirigeants.
À chacun de nous d’apporter sa pierre pour construire cette magnifique demeure qui fut à la base et au commencement de toutes les civilisations ainsi que le point de rencontre de toutes les religions.
Je remercie Dieu pour m’avoir permis de lui apporter cette modeste contribution en dépit de ma maladie et j’espère continuer à servir ma patrie, car elle est la mère du monde qu’ils le veuillent ou non ! C’est elle qui a inventé le premier alphabet et qui, par sa résistance historique, invente aujourd’hui celui de la dignité, de la souveraineté et de la liberté, non seulement pour la Syrie ou pour la patrie arabe, mais aussi pour le monde entier. Une résistance qui a fait que de grands États qui cherchaient à se positionner dans cette bataille universelle se sont rassemblés autour d’elle et ont trouvé leur place au niveau mondial.
Puisse chacun de nous apporter sa petite pierre à cette immense citadelle appelée Syrie. » [8]
J’espère, cher Père, que Damas saura vous honorer comme vous l’avez honorée, en témoignage de sa reconnaissance pour la grande beauté de vos actions, pour votre fidélité aux recommandations de Bahira, et aussi pour le courage de Jean le Baptiste qui a dit la vérité sans craindre ceux qui l’ont blâmé.
Naram Sarjoun, le 17 mars 2021
https://serjoonn.com/2021/03/17/
Présenté par Majed Nehmé
Traduit par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] Syrie : Les joueurs impénitents
http://palestine-solidarite.org/analyses.Naram_Sarjoun.160212.htm
[2] Guerre et Paix en Syrie, par Élias Zahlaoui (en PDF-193 pages)
https://www.afrique-asie.fr/wp-content/uploads/2021/03/FrEn-Ver-Print1.pdf
[3]Lettre ouverte d’un prêtre arabe de Syrie à Sa Sainteté le Pape François
https://www.afrique-asie.fr/wp-content/uploads/2021/03/Lettre-ouverte-au-Pape-Francois-14-3-2021.pdf
[4] Abou Lahab, Abd al-Uzza ibn `Abd al-Muttalib ibn Hicham al-Qurachî de son vrai nom, est un riche marchand et un notable de la Mecque préislamique. Féroce opposant au message de Mahomet en qui il voyait une menace pour les intérêts de la tribu dominante Quraych. Il est voué aux gémonies dans une sourate du Coran. D’où ce surnom d’Abou Lahab qui signifie « Père de la flamme », à cause du châtiment qui le « consumera le jour du jugement. ».
[5] Abû Jahl, ou Abou Al-Hakam de son vrai nom, appelé aussi Amr ibn Hishām, a été, selon Wikipedia, un des plus farouches adversaires de Mahomet au début de sa prédication. Daechiste avant l’heure, il tortura de ses mains de nombreux musulmans, faibles esclaves mecquois. Il transperça de sa lance Sumayyah bint Khayyat, une de ses esclaves, considérée comme la première femme martyre de l’islam, après l’avoir attachée et longuement torturée. Il sera tué dans la bataille de Badr qui opposa les musulmans aux Quraychites et qui se solda par la victoire des musulmans.
[6] Lors d’un voyage du prophète Mahomet, encore enfant, en compagnie de son oncle Abou-Taleb, le moine ermite Bahira qui vivait dans la région de Bosra située au sud de la Syrie actuelle- aurait reconnu les marques de la prophétie en lui et sur lui. Il recommanda à son oncle et à ses compagnons de le protéger de ses ennemis. Recommandation qui fut respectée.
[7] Abouna, veut dire « notre père ». Au Levant, le préfixe ABOU est familier et interpelle un homme en tant que « père de…». Il en est de même du préfixe OUM pour une femme. Or, le monde entier a constaté que les illustres terroristes avaient tous adopté illégitimement ce préfixe sous toutes les latitudes… [Abou Mohammad al-Joulani, Abou Missab al Zarqaoui, etc.].
[8] Bande sonore diffusée par l’agence nationale SANA du message (en arabe) du Père Élias Zahlaoui, le 14 mars 2021.
<https://www.youtube.com/watch?v=CNKUBiARdns&feature=youtu.be
Cet article a été initialement publié par [Afrique Asie].
Source : Mouna Alno-Nakhal