Par Régis de Castelnau
Pour la première fois en France, le dirigeant d’une société cotée en Bourse (Natixis), contraint au départ par ses échecs successifs et son évidente incapacité professionnelle est contraint en droit de restituer une indemnité de départ. Un fâcheux « parachute doré » moralement inacceptable versé subrepticement à François Riahi. Il se trouve que désormais ce genre de prime à la nullité est désormais fragile juridiquement. Philippe Prigent, l’avocat qui a diligenté des procédures à l’origine à l’origine de cette première juridique répond à nos questions.
Vu Du Droit : Lundi 15 février, la banque Natixis a publié un communiqué annonçant qu’elle avait versé « par erreur » 2,4 millions € à son directeur général (François Riahi) car « il n’existe juridiquement pas d’autre possibilité que de demander la restitution de cette indemnité ». Comment les membres du conseil d’administration d’une société de cette importance et grassement rémunérés ont-ils pu se mettre dans une situation pareille et commettre une telle erreur.
Philippe Prigent : normalement on ne peut pas commettre une telle erreur.
Car versement n’était pas une erreur mais un cadeau illégal délibéré, donné à un incompétent par ses copains administrateurs, aux frais des actionnaires.
L’excuse qu’ils ont donnée ne passe pas le test du rire : « il a été constaté une erreur commise lors de la détermination de l’indemnité de départ de Monsieur François Riahi, résultant d’une discordance entre la formulation des modalités de calcul de cette indemnité, en réalité inapplicables, et l’appréciation de l’atteinte des critères retenus par le Conseil d’administration lors de sa réunion du 3 août 2020 ».
Ainsi, il aurait fallu sept mois aux administrateurs de Natixis pour s’apercevoir que le parachute doré de 2,4 millions € versé au directeur général était illégal parce que l’indemnité de départ était impossible à calculer. Or la formule de calcul de l’indemnité de départ avait été votée par les actionnaires sur proposition des administrateurs eux-mêmes en 2018. Certes la performance boursière de Natixis est abyssale donc ses administrateurs sont manifestement incompétents mais même eux ne sont pas mauvais au point de ne pas se rendre compte qu’une indemnité de départ est impossible à calculer.
Personne ne peut croire sérieusement que le parachute doré était impossible à calculer alors que le directeur général pouvait tout négliger, sauf sa propre rémunération.
VDD : comment les administrateurs de Natixis ont-ils tenté d’expliquer cette erreur à 2,4 millions € ?
Philippe Prigent : Leur excuse rajoute au ridicule de l’affaire.
Selon la politique de rémunération votée par les actionnaires, l’indemnité de départ était calculée en fonction de la performance du directeur général au cours des quatre derniers semestres. Si un dirigeant part au second semestre 2020 (comme ici), il faut apprécier sa performance au cours du second semestre 2018, du premier semestre 2019, du second semestre 2019 et du premier semestre 2020.
Selon leur porte-parole, le 3 août 2020 les administrateurs ne se seraient pas aperçus que nous étions au second semestre 2020 et donc auraient calculé à tort l’indemnité en fonction des quatre semestres et 2018 et 2019. Ni les administrateurs ni la direction financière n’aurait compris qu’août était le huitième mois de l’année…
Les administrateurs ont également expliqué qu’il était impossible de calculer une performance financière semestre par semestre car il n’existe aucun budget semestriel et qu’il était donc impossible d’évaluer la performance financière de M. Riahi du 1er juillet 2018 au 30 juin 2020.
En d’autres termes, n’importe quelle PME tient un budget semestriel mais une banque gérant des milliards d’euros d’actifs n’aurait aucun budget semestriel ! C’est d’autant plus ridicule que Natixis, société cotée est tenue de publier des résultats trimestriels détaillés… On aurait pu croire qu’il suffit d’additionner les résultats de deux trimestres pour connaître les résultats d’un trimestre mais ce calcul est apparemment trop technique.
VDD : C’est effectivement se moquer du monde. Que s’est-il donc passé en réalité ?
Philippe Prigent : Un simple actionnaire mais ancien cadre de Natixis acculé au départ pour avoir révélé des délits d’initié du directeur des risques et du n° 2 de la banque en 2018 a découvert le pot aux roses. Il a saisi le Parquet de cet abus de bien social et annoncé aux administrateurs qu’il préparait une action en nullité de la délibération illégale accordant l’indemnité indue. Mais qu’il demanderait également la condamnation personnelle des administrateurs à rembourser à Natixis la somme qu’ils avaient versée à tort.
Acculés, les administrateurs ont demandé au dirigeant déchu de restituer ce parachute doré illégal pour éviter de devoir payer eux-mêmes et d’aller faire un tour sur les bancs de la correctionnelle.
C’est une manœuvre désespérée mais souvent conseillée par les avocats : si un détournement de fonds est indéfendable, rendez l’argent pour plaider que la faute est effacée. C’est faux en droit pénal mais il arrive que ces soudains scrupules attendrissent les magistrats et permettent d’alléger les sanctions.
Et si en plus on demande à autrui de rendre l’argent, c’est encore plus facile !
VDD : Une chose étonnera sans doute, comment un actionnaire minoritaire peut-il obtenir un tel résultat ?
Philippe Prigent : Outre la plainte pour abus de biens sociaux, qui fait toujours on effet, deux mécanismes méconnus confèrent un pouvoir insoupçonné aux actionnaires.
Les deux ont en commun de partir d’une idée simple : les actionnaires sont les propriétaires de la société. Les administrateurs et dirigeants sociaux ne sont que leurs mandataires, leurs fondés de pouvoir, or le propriétaire peut toujours demander à ceux qu’ils paient de lui rendre compte et faire annuler les malversations.
La première voie est donc la responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants sociaux, prévue par les articles L 225-251 et 252 du Code de commerce. Quand les administrateurs violent une règle de droit applicable ou commettent une faute de gestion, n’importe quel actionnaire peut les assigner en justice pour les obliger à indemniser la société des conséquences de leur manquement.
Quand des administrateurs votent un cadeau illégal à un dirigeant social avec l’argent de la société, ils violent une règle de droit au préjudice de la société. Ils doivent donc rembourser leur largesse indue à la société.
La seconde voie, encore moins connue, est l’article L 225-37-2 III du Code de commerce.
Dans les sociétés cotées en bourse, les actionnaires votent en effet la politique de rémunération des dirigeants sociaux sur proposition du conseil d’administration.
Et : « Aucun élément de rémunération, de quelque nature que ce soit, ne peut être déterminé, attribué ou versé par la société, ni aucun engagement correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la prise, de la cessation ou du changement de leurs fonctions ou postérieurement à l’exercice de celles-ci, ne peut être pris par la société s’il n’est pas conforme à la politique de rémunération approuvée ou, en son absence, aux rémunérations ou aux pratiques mentionnées au dernier alinéa du II.
Toutefois, en cas de circonstances exceptionnelles, le conseil d’administration peut déroger à l’application de la politique de rémunération si cette dérogation est temporaire, conforme à l’intérêt social et nécessaire pour garantir la pérennité ou la viabilité de la société.
Tout versement, attribution ou engagement effectué ou pris en méconnaissance des dispositions du présent III est nul dans cette mesure ».
En d’autres termes, sauf circonstances exceptionnelles, les administrateurs ne peuvent verser aucun cadeau aux dirigeants sociaux ; ils doivent seulement appliquer les règles de rémunération votées par les propriétaires de l’entreprise. S’ils violent cette interdiction, le cadeau est automatiquement nul.
Cette règle se comprend aisément : les administrateurs n’ont pas à faire des cadeaux avec l’argent des autres !
Ces cadeaux sont d’autant moins légitimes lorsque la valeur de l’action a été divisée par trois pendant les deux ans de la gestion de François Riahi…
VDD : Pensez-vous que cette affaire aidera à moraliser les rémunérations des dirigeants de grande société ?
Philippe Prigent : Oui car la meilleure façon de limiter les abus est que les actionnaires cessent de récompenser l’incompétence. Le scandale concernant les dirigeants de grandes sociétés, trop souvent issus du pantouflage de la haute fonction publique, réside dans le fait que l’incompétence est grassement récompensée. Sans aucun risque personnel pour les dirigeants, qui se servent dans le pot commun en l’absence de tout réel contrôle.
On ne saurait trop conseiller aux actionnaires même minoritaires d’utiliser les outils juridiques à leur disposition, pour sanctionner les administrateurs et dirigeants malhonnêtes.
Source : Vu du Droit
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