Par Moon of Alabama
Dix jours seulement après le coup d’État, une révolution de couleur à l’américaine est déjà en cours au Myanmar
Par Moon of Alabama – Le 10 février 2021
Le 1er février, les militaires du Myanmar, les Tatmadaw, ont déclenché un coup d’État. Le président Win Myint et la conseillère d’État Aung San Suu Kyi ont été arrêtés, ainsi que des ministres, leurs adjoints et des membres du parlement. Ils ont été accusés de quelques délits mineurs et seront tenus à l’écart pendant un certain temps. Le parti d’Aung San Suu Kyi, la LND qui avait largement remporté les dernières élections, sera interdit.
Tout cela n’est pas étonnant et ne fera probablement pas une grande différence dans la politique intérieure et à l’égard de ce pays extrêmement complexe :
Il n’y a pas de preuve irréfutable, bien sûr, mais il est pratiquement impossible que Pékin n’ait pas été au moins informé, ou « consulté », par les Tatmadaw sur ce coup d’État.
La Chine, premier partenaire commercial du Myanmar, est guidée par trois impératifs stratégiques cruciaux dans ses relations avec son voisin du sud : le commerce et la connectivité via un des corridors du projet des « Routes de la soie », le plein accès à l’énergie et aux minéraux, et la nécessité de cultiver un allié clé au sein de l’ASEAN, qui compte dix membres. …
Rien de tout cela ne changera, quel que soit le responsable du spectacle politico-économique dans la capitale du Myanmar, Naypyidaw. Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, et Aung San Suu Kyi, connue localement sous le nom d’Amay Suu (« Mère Suu ») discutaient du corridor économique Chine-Myanmar seulement trois semaines avant le coup d’État. Beijing et Naypyidaw ont conclu pas moins de 33 accords économiques rien qu’en 2020. …
Mais il ne s’agit pas seulement de la Chine. Le coup d’État des Tatmadaw est une affaire éminemment intérieure – qui a impliqué le recours à la même vieille technique, celle prônée par la CIA qui les a installés en tant que dictature militaire sévère, en 1962.
La LND et Suu Kyi commençaient à simplement trop s’affirmer et menaçaient de toucher aux affaires commerciales gérées par l’armée. Cela ne pouvait pas être toléré.
Il y a plusieurs insurrections ethniques en cours au Myanmar. Il y a beaucoup de seigneurs de guerre et, officieusement, un commerce de drogue et d’armes. La LND ne s’en est jamais souciée et l’armée ne s’en souciera pas non plus :
Le résultat final [des élections] a privilégié la LND, dont le soutien est négligeable dans toutes les régions frontalières. Le groupe ethnique majoritaire du Myanmar – et la base électorale de la LND – est le Bamar, bouddhiste et concentré dans la partie centrale du pays.
La LND ne se soucie franchement pas des 135 minorités ethniques – qui représentent au moins un tiers de la population générale. Le chemin a été long depuis l’arrivée au pouvoir de Suu Kyi, alors que la LND bénéficiait en fait d’un grand soutien. La notoriété internationale de Suu Kyi est essentiellement due à la puissance de la machine Clinton.
Si vous parlez à un Mon ou un Karen, il vous dira qu’il a dû apprendre à ses dépens que la véritable Suu Kyi est une autocrate intolérante. Elle a promis la paix dans les régions frontalières – éternellement embourbées dans une lutte entre les Tatmadaws et les mouvements autonomes. Elle n’a pas pu tenir sa promesse car elle n’avait aucun pouvoir sur les militaires.
Sans aucune consultation, la commission électorale a décidé d’annuler le vote, totalement ou partiellement, dans 56 cantons de l’État d’Arakan, de l’État Shan, de l’État Karen, de l’État Mon et de l’État Kachin, qui sont tous peuplés de minorités ethniques. Près de 1,5 million de personnes ont été privées du droit de vote.
Alors que Suu Kyi bénéficiait autrefois d’un soutien « occidental », on lui avait décerné un prix Nobel de la paix, ce soutien est perdu depuis longtemps :
La plus grande erreur de Suu Kyi a été de croire qu’elle pouvait, par nationalisme, rejeter les accusations de génocide contre les Rohingyas. Ce faisant, elle a perdu le soutien de l’Occident. Depuis lors, elle est en sursis et l’armée a à peine caché son dégoût envers elle.
Certes, les militaires ont anticipé l’impact et la réaction de la communauté internationale et ont pris en considération les préoccupations de la nouvelle administration américaine concernant les questions intérieures. Le Myanmar ne figure même pas parmi les dix premières priorités de la politique étrangère du président Joe Biden.
Compte tenu de ce qui précède, il est étonnant de constater que quelques jours seulement après le coup d’État, le pays connaît déjà une révolution de couleur à l’américaine.
Il suffit de voir la façon dont ABC News analyse cette information, typique des reportages sur une révolution de couleur, intitulée : « ANALYSE : Comment les manifestations du Myanmar sont-elles organisées ? »
Pour la plupart, les protestations se sont développées de manière organique.
« Ce mouvement est sans chef – les gens descendent dans la rue par eux-mêmes et selon leur volonté », a déclaré Thinzar Shunlei Yi, un militant de premier plan.
Des groupes d’activistes, des groupes de travail professionnels, des syndicats et des individus, dans tout le Myanmar, se sont tous prononcés contre le coup d’État, tout comme la Ligue nationale pour la démocratie, le parti de Suu Kyi. …
Les travailleurs de la santé ont également lancé une campagne de protestation, portant des rubans rouges, brandissant des pancartes et exhortant les autres membres du personnel médical à ne pas travailler dans les établissements de santé gérés par l’État.
Les manifestations de rue du week-end ont été marquées par la forte présence de syndicats, de groupes d’étudiants et d’autres groupes représentant des professions aussi diverses que les garde-forestiers et les imprimeurs.
Les habitants de Yangon ont exprimé leur désaccord en tapant sur des casseroles et des poêles toute la nuit. … Des copies de fiches d’information sur les protocoles de sécurité, dont certaines proviennent de Hong Kong, ont été distribuées aux manifestants. Elles contiennent des instructions sur le cryptage des communications et sur la manière de se protéger pendant les manifestations.
« Le mouvement est sans chef », a déclaré l’un de ses plus vieux dirigeants, bien connu de ce journaliste « occidental »….
Les points soulignés sont tous des attributs standards déjà vus pour d’autres révolutions de couleur dans le monde. Ce type de reportage de Reuters est également assez typique : « Les manifestants anti-coup d’État du Myanmar défient la répression avec humour »
Les manifestants sont retournés dans les rues du Myanmar mercredi bien qu’une jeune femme ait été tuée la veille, certains utilisant l’humour pour souligner leur opposition pacifique à la récente prise de pouvoir par les militaires. …
« Nous ne pouvons pas rester silencieux », a déclaré à Reuters la responsable de la jeunesse Esther Ze Naw. « Si du sang est versé lors de nos manifestations pacifiques, il y en aura encore plus si nous les laissons prendre le contrôle du pays ».
Aucune violence n’a été signalée mercredi et, dans de nombreux endroits, les manifestations ont pris un air de fête, avec des culturistes au torse nu, des femmes en robe de bal et en robe de mariée, des agriculteurs en tracteur et des personnes avec leurs animaux de compagnie. Certains ont mis en place une barricade avec des baignoires gonflables en caoutchouc.
Des milliers de personnes ont participé à des manifestations dans la ville principale de Yangon, tandis que dans la capitale, Naypyitaw, des centaines de fonctionnaires ont défilé pour soutenir une campagne de désobéissance civile de plus en plus importante. …
Auparavant, des soldats avaient pris le contrôle d’une clinique qui avait soigné des manifestants blessés à Naypyitaw mardi, a déclaré un médecin de cette ville.
Un adolescent a été abattu lorsque la police a tiré, principalement en l’air, pour dégager les manifestants.
Un autre signe d’une révolution des couleurs est la publication de témoignages de fans de manifestants qui affichent des photos de personnes portant des panneaux écrits en anglais. Il s’agit clairement d’une révolution des couleurs visant un public « occidental ».
Il s’agit donc manifestement d’une tentative de révolution des couleurs contre l’armée.
Ce qui est intriguant, c’est la vitesse à laquelle elle a été lancée. Les révolutions de couleur nécessitent généralement des années de formation de groupes et de préparation au leadership. Elles ont besoin d’un soutien financier et en communication, ainsi que de directives politiques de la part de « conseillers » travaillant dans les ambassades « occidentales ». Ici, il n’a fallu que dix jours pour la lancer.
En 2005, l’administration Bush a développé la « société civile » du Myanmar et soutenu Suu Kyi, qui était alors assignée à résidence. Elle a surgi lors de la « révolution de couleur safran » en 2007 et du ccyclone Nargis en 2008, lorsque l’administration Bush a essayé d’utiliser la responsabilité de protéger (R2P) pour imposer une botte militaire sur le terrain.
Mais tout cela remonte à loin et après l’arrivée au pouvoir de Suu Kyi, il n’était plus nécessaire de poursuivre ces efforts.
De plus, en vertu de la constitution du Myanmar datant de 2008, l’armée était toujours aux commandes. Avec la large victoire de Suu Kyi lors des dernières élections, une tentative « occidentale », planifiée de longue date, a peut-être été lancée pour enfin déloger l’armée de sa position privilégiée et pour sortir le pays de l’orbite de la Chine.
Mais les chances que cela réussisse sont pratiquement nulles. Environ 70% de la population du Myanmar vit dans les zones rurales. Les manifestations ne se produisent que dans les trois grandes villes Yangon, Mandalay et Naypyitaw et sont relativement petites. L’armée est impitoyable et n’aura aucun mal à s’opposer aux manifestants.
Celui qui a lancé ces absurdités devrait être tenu pour responsable de la mise en danger de ces personnes.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone
Source : Le Saker
https://lesakerfrancophone.fr/…