Par Alex Kane et Mariam Barghouti

Des lobbies israéliens ciblent les sources de financement d’un important syndicat d’agriculteurs palestiniens – en prétendant de façon douteuse qu’il a des liens avec ‘les terroristes’. D’autres organisations palestiniennes font face aux mêmes attaques.

Le 20 juillet, l’Union des Comités de Travailleurs Agricoles (UCTA), importante association palestinienne de développement de l’agriculture, a eu vent d’un coup stupéfiant porté à son activité : le gouvernement hollandais, important donateur de leur syndicat depuis 13 ans, suspendait son financement.

Depuis des années, un réseau mondial de groupes de pression avait démarché les gouvernements européens pour faire interrompre le financement de l’UCTA, syndicat qui aide les fermiers palestiniens à cultiver leur terre, à trouver des débouchés pour leurs produits et à développer leur infrastructure hydraulique.

La campagne du lobby reposait sur des déclarations comme quoi l’UCTA était liée au Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), parti marxiste-léniniste qui représentait dans les années 1970 la plus grande faction de l’Organisation de Libération de la Palestine, après le Fatah. Historiquement, de nombreuses associations de la société civile palestinienne ont été liées à des factions politiques profitant d’un large soutien de la société palestinienne grâce aux services sociaux qu’elles leur fournissaient, de leur rôle dans l’éducation publique et de leur opposition à l’occupation israélienne.

Les factions, de leur côté, possédaient des unités armées séparées qui parfois fonctionnaient indépendamment des unités politiques. La branche FPLP a organisé des agressions armées dans les années 1970, 1980, et pendant la Deuxième Intifada. Tandis qu’Israël et ses alliés affriment que ces attaques relevaient du « terrorisme », les Palestiniens les ont considérées comme des réponses et des manifestations de résistance armée à la propre violente occupation militaire d’Israël.

La campagne contre l’UCTA n’a rencontré que de modestes succès jusqu’à juillet 2020. Une impulsion pour couper le financement de l’UCTA par Shurat HaDin, centre juridique israélien, qui a des liens étroits avec le gouvernement israélien, a incité l’Australie à geler temporairement le financement de l’UCTA et à revoir ses donations gouvernementales en 2012. Finalement, le gouvernement australien a repoussé Shurat HaDin, faisant remarquer que l’UCTA n’était « pas interdite par Israël ni déclarée comme organisation terroriste par les Israéliens » (quoique en 2018, les autorités israéliennes avaient déclaré que l’UCTA était liée au terrorisme).

Des Palestiniennes chantent tout en agitant des drapeaux rouges dans un rassemblement pour fêter le 43ème anniversaire du parti de gauche le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) le 11 décembre 2010. (Mustapha Hassona/Flash90)

Les efforts de ce genre de lobbies se poursuivent quand même avec la seule suspension hollandaise, coup le plus récent porté à l’UCTA. « Il n’y a pas de comparaison possible entre le pouvoir et les ressources qu’ils ont et ce que nous avons », a déclaré à +972 le directeur de l’UCTA Fouad Abu Saif. « Chacun d’entre nous est un terroriste à leurs yeux. »

Un réseau de relations

Le paysage politique avait abruptement changé pour l’UCTA à l’automne 2019, quand Israël avait arrêté Samir Arbid et Abdel Razaq Farraj, deux des employés du syndicat, soi-disant membres du FPLP. Le gouvernement hollandais a dit que son argent avait aidé à payer les salaires d’Arbid et de Farraj.

Les autorités israéliennes les ont accusés tous les deux d’avoir prétendument supervisé le 23 août 2019 un attentat à la bombe qui avait tué Rina Shnerb, Israélienne de 17 ans qui visitait Ein Bubin, source proche de la colonie de Dolev en Cisjordanie que les colons israéliens ont longtemps cherché à contrôler.

Le Shin Bet, le service de sécurité intérieure d’Israël, a été accusé par les associations de défense des droits de l’homme d’utiliser des techniques de torture dont on dit qu’elles avaient provoqué la fracture de six côtes d’Arbid et causé son insuffisance rénale, d’après les défensurs des droits de l’homme. Le 24 janvier, le Procureur Général d’Israël a clos les investigations sur cette affaire, déclarant « qu’il n’y avait aucun motif pour prouver que le crime de torture avait été commis ».

En réponse aux arrestations de ses employés, l’UCTA a dit dans une déclaration que « l’UCTA est une organisation indépendante qui n’a aucune affiliation, politique ou religieuse, avec quelque parti ou organisation politique que ce soit ».

A la suite des arrestations d’Arbid et de Farraj, les Avocats du Royaume Uni pour Israël (UKLFI) et NGO Monitor, deux groupes de défense d’Israël qui ont attaqué le mouvement de défense des droits des Palestiniens, ont été à la tête d’une campagne de plusieurs mois contre le financement de l’UCTA par le gouvernement hollandais. La campagne a abouti au gel du don de 1 million de dollars pour 2020 par les Pays Bas et à l’annonce d’un examen externe de leur financement à l’union. « Nous nous attendons à ce que ce processus et l’enquête prennent plusieurs mois », a dit Irene Gerritsen, porte-parole du ministère hollandais des Affaires Etrangères. Daniel Lauter, porte-parole de NGO Monitor, affirme que cette décision « représente une reconnaissance importante du besoin d’une véritable diligence dans toutes les décisions de financement des ONG ».

Des Israéliens manifestent le 7 juillet 2020 en soutien à l’activiste Shetfi Paz et contre l’Union Européenne devant le Tribunal Correctionnel de Tel Aviv. (Miriam Alster/Flash90)

Le gel des financements a eu lieu en dépit du fait qu’il n’y avait aucune preuve de lien de l’UCTA en tant qu’organisation avec la violente attaque à Ein Bubin. Mais en ce qui concerne NGO Monitor et l’UKLFI, « la culpabilité par association » est la parfaite stratégie à suivre.

Les deux organisations, qui ont des liens avec le gouvernement israélien, ont travaillé à saper le mouvement de défense des droits des Palestiniens, en partie en l’accusant d’avoir des affiliations avec des groupes terroristes. NGO Monitor a été créé par Gerald Steinberg, ancien conseiller au ministère israélien des Affaires étrangères et au Conseil de la Sécurité Nationale, sous l’égide d’un groupe de réflexion dirigé par Dore Gold, ancien ambassadeur d’Israël à l’ONU et conseiller de Benjamin Netanyahou. L’UCTA a cependant organisé des conférences en partenariat avec l’ambassade du Royaune Uni en Israël.

En réponse aux questions de +972 sur le manque de preuves qui a conduit à la décision du ministère hollandais, Caroline Turner, directrice de l’UCTA, a dit : « Ce n’est pas juste de dire qu’il n’existe pas de preuve liant l’UCTA à l’attaque de Ein Bubin. Trois cadres supérieurs de l’UCTA ont été arrêtés en lien avec l’attentat terroriste. »

‘L’un des derniers obstacles à l’apartheid israélien’

Le gel des financements a eu un impact immédiat. D’après l’UCTA, les financement hollandais avaient soutenu plus de 100 communautés de la Zone C en Cisjordanie occupée, où vivent des Palestiniens vulnérables à l’empiétement des colons israéliens. « La raison principale de toutes ces allégations et pressions, c’est le travail que nous faisons, spécialement au cours de ces dernières années », explique Abu Saif.

« Lorsque nous connectons les Zones A et B avec les communautés palestiniennes de la Zone C, c’est à soi seul significatif », dit Abu Saif. Ces six dernières années, l’UCTA a installé 52 coopératives en Cisjordanie et à Gaza, réhabilitant presque 10.000 dunums de terre palestinienne qui étaient sous la menace d’une confiscation par les autorités israéliennes en Zone C. L’organisation a par ailleurs planté près de deux millions d’arbres et construit des routes de raccordement équivalant à presque 700 km de distance. L’UCTA a également travaillé à fournir un meilleur accès à l’eau pour les Palestiniens de la Zone C, où les services de l’eau et de l’assainissement sont régulièrement interrompus par l’expansion coloniale israélienne.

Des Palestiniens cueillent les olives pendant la saison de la récolte, le 18 octobre 2019, dans une ferme près du mur de séparation, dans le village de Cisjordanie, Deir Debwan. (Wissam Hashlamoun/Flash90)

Maintenant, plus de 300 Palestiniens ont perdu leur possibilité de travailler parce que six entrepreneurs embauchés par l’UCTA ont été obligés d’annuler leurs projets de renforcement des infrastructures agricoles financés par les Pays Bas. Environ 200 fermiers palestiniens vont peut-être se retrouver incapables de payer leurs employés, ce qui va accroître les tensions parmi la main d’oeuvre agricole.

Une coupure permanente des financements causerait même encore plus de dégâts, avertit l’UCTA : cela handicaperait la capacité de l’organisation à aider les Palestiniens à rester sur leur terre face à l’incessante expansion coloniale israélienne. « Ce n’est pas une punition pour l’UCTA », dit son directeur Abu Saif, « c’est une punition pour la population ».

Abu Saif exhorte maintenant le gouvernement hollandais à non seulement entreprendre une évaluation exhaustive du financement de son association, mais à accélérer le processus. « Nous ne voulons pas qu’il mette fin à son estimation, mais qu’il la poursuive. Nous avons confiance en notre organisation et désirons mettre en avant qu’il n’y a finalement aucun fondement à leurs allégations », dit-il.

Les implications de l’UCTA dépassent l’organisation elle même.

« Cela pourrait saper la confiance qui existe entre les donateurs européens et les organisations de la société civile palestinienne. Cela a toujours été le but des organisations israéliennes », dit Giovanni Fassina, Directeur de Programme pour le Centre Européen de Soutien Juridique, association qui procure une assistance juridique à l’UCTA et protège les défenseurs des droits des Palestiniens de la répression en Europe. « Si vous arrivez à saper la confiance entre les deux parties, ils vont baisser les financements, ce qui arrêtera les activités des organisations de la société civile. Ces organisations sont l’un des derniers obstacles à l’apartheid israélien. »

L’examen des financements arrive alors que les associations de la société civile palestinienne critiquent sévèrement une nouvelle clause « anti-terrorisme » insérée dans les contrats de subvention de l’Union Européenne. La clause liste sept factions politiques palestiniennes en tant que « groupes terroristes », dont le Hamas, le Jihad Islamiste palestinien et le FPLP, et demande aux organisations palestiniennes de s’assurer que des individus qui profiteraient de projets financés par l’UE ne sont pas affiliés à ces groupes.

Dans un pénible soupir, Abu Saif dit : « Si la communauté internationale essaie en réalité de mettre la barre plus haut [pour qui elle finance], elle devrait aussi jeter un œil sur l’illégalité des colonies et des colons qui orientent largement les efforts de ces groupes. »

Des membres de la police des frontières d’Israël montent la garde alors que des fermiers utilisent des tracteurs pour travailler la terre du village de Kusra en Cisjordanie le 19 novembre 2013. (Nati Shohat/Flash90)

Pour les organisations palestiniennes, l’invitation d’Abu Saif n’est pas injustifiée ; ils sont nombreux à avoir exigé depuis des années des enquêtes sur les associations de défense d’Israël à propos de leurs sources de financement et de leurs liens avec des causes extrémistes. Le mois dernier par exemple, Middle East Eye a rapporté qu’Ariel Leitner, l’un des avocats « anti-terrorisme » de Shurat HaDin, a lui-même été reconnu coupable en Israël d’attaques qui ont blessé six Palestiniens dans les années 1980. Leitner, qui était adhérent du parti d’extrême droite Kach, s’est envolé pour les Etats Unis alors qu’il était en liberté sous caution, mais est revenu en Israël après avoir conclu un accord de plaidoyer. Sa femme, Nitsana Darshan-Leitner, est la fondatrice de Shurat HaDin.

Coupure des financements

En plus de paralyser l’organisation elle même, une coupure permanente du financement de l’UCTA représenterait une victoire majeure pour le lobby israélien en fournissant une ébauche réussie de la façon de couper l’arrivée de l’argent pour la société civile palestinienne à tous les niveaux.

Ces dernières années, les agences du gouvernement israélien et une panoplie de groupes de pression alignés sur Israël – tels que Shurat HaDin, UKLFI, NGO Monitor, le Forum Juridique International, le Projet de Guerre juridique, et d’autres – ont déployé une variété de tactiques pour intervenir dans le financement des associations palestiniennes.

La méthode la plus courante de nos jours implique de faire des allégations de liens des associations de la société civile avec les partis politiques palestiniens qui ont des branches armées, prétendant ainsi que financer des plate-formes comme PayPal pourrait vous mettre en violation des lois anti-terrorisme si elles permettent aux associations palestiniennes d’utiliser leurs services.

Ces efforts ont eu un succès modeste, mais pas suffisamment pour couper l’arrivée d’argent vers les organisations palestiniennes. En 2018, Shurat HaDin a convaincu la plate-forme Donorbox de fermer le compte du Comité National de Boycott (BNC), association palestinienne qui coordonne la campagne mondiale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions, après avoir envoyé une lettre à Donorbox prétendant que le BNC avait des liens avec le terrorisme.

En 2019, après une campagne de UKLFI, la plate-forme de financement Global Giving a retiré la capacité de Défense des Enfants International-Palestine, association palestinienne de défense des droits des enfants, de lever des fonds pour ses projets, sans informer DCI-Palestine sur les allégations spécifiques ayant conduit au retrait. UKLFI, avec NGO Monitor, avait déclaré que DCI-Palestine était liée au FPLP.

Le ministre de la Sécurité Publique, Gilad Erdan, parle le 3 février 2019 à Bnei Brak au cours d’une conférence de presse devant les médias étrangers. (Flash90)

En mars 2020 cependant, dans le cadre du règlement d’un procès en diffamation mené par DCI-Palestine au Royaume Uni, UKLFI a mis au clair qu’ils « n’avaient pas l’intention du suggérer que l’organisation avait des liens étroits actuellement, ou fournissait quelque soutien financier ou matériel que ce soit à quelque organisation terroriste que ce soit ».

En septembre, Global Giving a informé DCI-Palestine qu’elle était en conformité avec les règles de la plate-forme de financement collectif. Mais parce que Paypal, site internet utilisé par Global Giving pour procéder aux donations, a dit à Global Giving qu’il n’accepterait plus les financements pour DCI-Palestine, les projets de l’association palestinienne de défense des droits des enfants demeurent non cotés sur Global Giving.

Marlena Hartz, directrice des communications chez Global Giving, a dit à +972 Magazine que l’organisation avait déterminé que neuf anciens administrateurs de DCI-Palestine avaient des liens avec le FPLP, quoique sept des neuf étaient actifs dans ce groupe avant que le Département d’État ne le désigne comme une organisation terroriste en 1997. Les deux autres administrateurs étaient adhérents du FPLP en tant que candidats dans une élection ouverte en 2006 qui avait été autorisée par Israël.

« La décision de ne pas réactiver le partenariat de DCIP avec GlobalGiving a été prise après une série de délibérations et de considérations des besoins multiples : par exemple, prendre au sérieux les allégations, être à la hauteur de nos responsabilités envers n’importe lequel des partenaires, et protéger notre viabilité et notre mission d’association à but non lucratif qui cherche à soutenir d’autres organisations à but non lucratif à travers le monde », dit Hartz. 

‘Perte de temps et de capacité’

Les conséquences sur les associations palestiniennes sont évidentes. « [Se battre contre ces allégations] est une énorme perte de temps et de capacité », dit Brad Parker, Conseiller principal en Politique et Défense des droits chez DCI-Palestine.

« Nous sommes une organisation qui représente devant les tribunaux militaires des enfants qui sont maltraités et torturés et dépourvus d’avocats, et pourtant une grande part de notre capacité est dépensée à répondre aux demandes des donateurs et à défendre l’intégrité et la réputation des membres de notre équipe. Le but ultime est de mettre fin au financement et de refroidir les relations et de marginaliser l’organisation pour le travail légitime de défense des droits de la personne humaine que nous faisons. »

A ce titre, plaquer le mot « terroriste » sur les associations palestiniennes est un moyen infaillible d’effrayer les donateurs. « Stigmatiser une personne en tant que terroriste, ou une organisation en tant que terroriste, ou comme ayant une affiliation terroriste est un outil très puissant », dit à +972 le Dr. Yara Hawari, chargé supérieur de recherches en politique dans le groupe de réflexion palestinien Al-Shabaka. «  Surtout depuis la campagne de « Guerre au Terrorisme » [conduite par l’administration de George W. Bush après les attaques du 11 septembre 2001], les gouvernements ont pu s’en sortir en cas de violations et de discriminations sous couvert de sécurité nationale, en se fondant sur des allégations peu précises de terrorisme. »

L’ancien chef de cabinet et président du parti Bleu et Blanc Benny Gantz s’exprime lors d’une conférence sur ‘Vers un Nouveau Droit de la Guerre’ tenue par Shurat HaDin, Centre israélien du Droit, au Dan Hotel, Jérusalem, le 4 mai 2015. (Hadas Parush/lash90)

En 2007, le Rapporteur Spécial de l’ONU a soumis un rapport faisant remarquer la nature problématique de la définition du terrorisme et des terroristes par Israël, dont il a dit qu’elle ressemblait à celle de la classification et de l’utilisation par les Etats Unis en ce qui concerne les prisonniers détenus dans le tristement célèbre camp d’internement de Guantanamo Bay.

Dans le passé, l’affiliation au Hamas était le lien le plus fréquemment évoqué pour attaquer ou discréditer les organisations et les individus. L’année dernière, Oxfam a fait face à un procès sous le prétexte qu’elle fournissait un « soutien matériel » au Hamas, également considéré comme une organisation terroriste. Cependant, la plupart des factions palestiniennes sous l’égide de l’OLP sont considérées comme des organisations terroristes ; le Fatah n’a été retiré de la liste du terrorisme qu’après avoir signé les Accords d’Oslo en 1993.

Le projet spécifique d’Oxfam qui a provoqué les accusations en 2019 était lui aussi en lien avec l’agriculture. Si on le place dans un contexte plus large, l’impact de ces efforts contribue aussi à la continuité de la détérioration économique et de l’insécurité alimentaire, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture avertissant récemment que, « Pour la première fois, la sécurité alimentaire des Palestiniens peut être affectée de manière significative par la réduction de la disponibilité alimentaire. »

« Quand vous entreprenez des projets qui encouragent la résilience de la communauté et la dignité de sa vie, c’est une menace », dit Abu Saif à +972. « Pour l’UCTA, non seulement nous ne sommes affiliés ou associés à aucun parti ou programme politiques, mais nos stratégies et notre approche vont parfois à l‘encontre de celles des factions et des autorités palestiniennes. Nous critiquons même leurs imperfections dans leur façon de traiter les questions sociales tandis que nous essayons  de combler le manque. »

Les élections hollandaises alimentent les attaques

Ensemble, UKLFI et NGO Monitor ont publié des dossiers sur les liens supposés de l’UCTA avec le FPLP et ont envoyé quantité de lettres aux gouvernements et aux législateurs, toutes cherchant à saper le financement de l’UCTA. Néanmoins, il a fallu attendre juillet 2020 pour que cette campagne contre la société civile palestinienne ait un certain succès au niveau gouvernemental.

Une raison essentielle pour laquelle le gouvernement hollandais a pris sa décision de geler les financements  fut l’arrestation d’employés de l’UCTA pour l’attaque d’Ein Rubin. Les défenseurs des droits des Palestiniens ont cependant exhorté les Pays Bas à avoir un regard critique sur les déclarations d’Israël parce que le Shin Bet avait semble-t-il torturé Arbid, l’employé de l’UCTA dont Israël dit qu’il avait supervisé l’attaque.

Le gel fut aussi consécutif à la pression de partis politiques hollandais – dont l’Union Chrétienne, membre de la coalition de centre droit – qui ne sont pas d’accord avec la longue histoire de financement de la société civile palestinienne par leur gouvernement, et qui s’allient maintenant aux associations pro-israéliennes de droite.

Sigrid Kaag à la Conférence des Ambassadeurs Hollandais, le 29 janvier 2018. (Ministerie van Bultenlandse Zaken/Flickr)

Mais le 17 mars, les électeurs hollandais éliront un nouveau gouvernement. Le chef du parti progressiste, D66, c’est Sigrid Kaag, actuelle ministre du commerce extérieur et de la coopération au développement, bureau du gouvernement responsable du financement de l’UCTA. Selon le score de son parti elle pourrait avoir une chance de devenir la première hollandaise premier ministre.

La droite hollandaise veut arrêter cette perspective sur sa lancée et se sert maintenant de l’erreur du financement de l’UCTA par Kaag comme d’une matraque politique pour l’attaquer. « Les attaques contre l’UCTA sont, par extension, des attaques contre le ministère [de Kaag] et peuvent servir de munitions politiques dans les prochaines élections », dit Gerard Jonkman, Directeur du Forum des Droites, association hollandaise qui se concentre sur Israël-Palestine.

Même avant la controverse actuelle autour de l’UCTA, Kaag était une cible à cause de son soutien aux Palestiniens. En juin 2020, Geert Wilder, leader anti-Musulmans du Parti d’extrême droite pour la Liberté, a tweeté une photo de Kaag avec le dirigeant palestinien Yasser Arafat et a écrit : « Arafat était l’un des plus grands terroristes du siècle dernier. @SigridKaag l’adorait. Rien que cela fait d’elle quelqu’un d’impropre à devenir premier ministre. »

Retirer un obstacle à la construction de colonies

Le plus important arrière-plan du gel du financement, cependant, ce sont les années de campagne des associations de défense d’Israël pour saper le travail de l’UCTA dans la Zone C, les deux tiers de la Cisjordanie occupée qui tombent sous le contrôle civil et sécuritaire total d’Israël.

L’UCTA est la plus grande institution palestinienne de développement agricol, active à la fois dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie. Et c’est l’une des rares organisations palestiniennes à but non lucratif qui cherche précisément à soutenir les projets agricoles dans les communautés vulnérables de la Zone C, où sont fortement concentrées les colonies israéliennes.

« Investir dans l’agriculture et planter des arbres, c’est un moyen pour résister à l’occupation israélienne sur le terrain », explique Abu Saif de l’UCTA. « C’est pour cette raison qu’on nous attaque. »

Mariam Bader en train d’arroser ses cultures sur les anciennes terrasses du village palestinien de Battir, surplombant la voie du Chemin de fer israélien qui traverse les champs du village, le 7 avril 2014. (Hadas Parush/Flash90)

Saper le travail de l’UCTA réalise alors un but essentiel du mouvement colonial israélien.

« Tandis que l’armée israélienne libère de l’espace pour les colonies à l’aide de bulldozers, l’UKLFI [et] NGO Monitor tentent de libérer de l’espace diplomatique européen sur les blocs de colonies en utilisant des attaques contre la réputation des ONG palestiniennes qui soulèvent ces questions », a dit Ryvka Barnard, Haut Responsable de Campagnes pour l’association britannique War on Want (Guerre au Manque), qui a elle aussi été ciblée par l’UKLFI.

« Des ONG comme l’UCTA créent un obstacle à la construction de colonies parce qu’elles collectent des preuves pour se défendre dans l’UE, faisant ressortir les activités illégales d’Israël [telles que] des démolitions de structures et la construction de colonies. C’est pourquoi, aux yeux d’associations comme UKLFI, il faut les discréditer. »

Interrogé par +972 sur les déclarations comme quoi la campagne contre l’UCTA consiste à faire du tort à la possibilité des associations palestiniennes de documenter sur les violations des droits par Israël et de résister à l’expansion coloniale, Turner, chef de l’UKLFI, a dit que « l’UKLFI ne veut pas que des associations terroristes soient financées par l’UE ou par n’importe quel autre gouvernement. » Elle a ajouté que, alors que son organisation « n’est certainement pas contre le financement d’organisations palestiniennes légitimes », elle insiste pour dire que l’UCTA « a des liens très forts avec l’association terroriste le FPLP et, en tant que telle, ne devrait pas  être financée par l’Europe ni par aucun autre gouvernement ».

Malgré ces difficultés, l’UCTA poursuit activement son travail. « Pour l’instant, le climat général est à l’insécurité économique », dit Abu Saif dans un soupir. « Nous avons peur de ne pas remplir notre promesse, mais il y a aussi un sentiment de responsabilisation parmi nous. Finalement, notre but est de servir notre peuple, et tout comme nous avons commencé en tant que bénévoles, nous avons envisagé la possibilité de revenir travailler comme bénévoles. »

CORRECTION : Cet article mentionnait préalablement que les partis hollandais qui faisaient pression sur le gouvernement pour limiter le financement de la société civile palestinienne ne faisaient pas partie de la coalition de gouvernement de centre gauche ; on a corrigé cela pour expliquer que l’un de ces partis, l’Union Chrétienne, faisait partie de la coalition de centre droit.

Alex Kane est un journaliste basé à New York dont le travail sur Israël-Palestine, les libertés civiques et la politique étrangère américaine a été publié dans VICE News, The Intercept, The Nation, In These Times et d’autres. Suivez le sur Twitter @alexbkane.

Mariam Barghouti est une écrivaine palestinienne basée à Ramallah. Twitter : @MariamBarghouti.

Source : +972 Magazine

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/…