Par Maxime Combes

D’apparence consensuelle, la protection de la biodiversité ne l’est pas tant que ça. Tapi dans l’ombre d’objectifs généraux et généreux, c’est en fait un projet nocif qui prend corps peu à peu visant à faire de la nature un capital naturel dont il faudrait confier la protection aux marchés et à la finance. Le OnePlanetSummit, organisé par Emmanuel Macron ce 11 janvier ne semble pas y échapper.

Objet consensuel à souhait, nul ne saurait s’opposer publiquement au fait de « sauver la biodiversité ». Les rapports des scientifiques, des agences de l’ONU et des ONG s’empilent. Les alertes s’accumulent. Les faits sont là, indiscutables : nous sommes les témoins d’une sixième extinction de masse. Des centaines de milliers d’espèces sont en danger. Les années passent, et tous les indicateurs empirent. Au point d’interroger la pérennité des conditions de survie sur Terre. Fait nouveau : de plus en plus d’Etats et d’entreprises privées se sentent obligés de montrer qu’ils ne sont pas indifférents et qu’ils agissent. Preuve que l’opinion a basculé et attend des réponses.

Mais il y a un éléphant dans la pièce. Tout le monde le voit, (presque) tout le monde en fait le constat, mais peu l’énoncent clairement. Cette extinction de biodiversité n’est pas une fatalité. Elle est le fruit d’un modèle économique insoutenable fondé sur la chimie, les hydrocarbures, la déforestation, les pollutions, une agriculture intensive, etc qui, in fine, détruit la biodiversité et les écosystèmes. Chacun.e peut en constater l’amère réalité, mais rares sont celles et ceux qui énoncent clairement le problème. Et encore plus rares sont celles et ceux qui en tirent les conclusions qui s’imposent.

Des altesses royales et des PDG de multinationales pour sauver la biodiversité

La 4ème édition du One Planet Summit qu’Emmanuel Macron a organisé ce lundi 11 janvier, en partenariat avec les Nations unies et la Banque mondiale, n’a pas dérogé à la règle. Les quatre thèmes, la liste des intervenant.e.s et le contenu des présentations l’ont illustré : « protection des écosystèmes terrestres et marins », « promotion de l’agroécologie », « mobilisation des financements », « préservation des espèces et santé humaine ». Autant de sujets relativement consensuels, surtout lorsqu’il s’agit d’énoncer des généralités, sans même discuter des vecteurs de la dévastation planétaire.

Lors de ce One Planet Summit (à réécouter ici), deux altesses royales, de Galles et de Monaco, ont disserté protection de la biodiversité au milieu de chefs d’Etat et de leaders européens qui chaque jour font la démonstration que transformer en profondeur notre insoutenable système économique n’est pas vraiment à l’ordre du jour. Une table-ronde a même réuni la présidente de la BCE (qui soutient des multinationales climaticides comme Total), trois premiers-ministres d’Etats pétroliers qui protègent leur industrie (Canada, Royaume-Uni et Norvège) ainsi que le PDG d’une multinationale française, Schneider Electric qui supprime des emplois après avoir versé un juteux dividende et profité du chômage partiel payé sur fonds publics. #BusinessAsUsual.

One Planet summit, une cautère sur une jambe de bois ?

Pourtant l’ambition affichée était immense. Ce One Planet Summit ne visait rien de moins qu’impulser « un élan politique » et faire de 2021 « l’année de la biodiversité ». La COP15 de l’ONU sur la biodiversité, qui se tiendra en Chine du 17 au 31 mai, vise à devenir l’équivalent de la COP21 sur le climat de Paris en 2015. De multiples annonces attendues ont été confirmées : une « coalition de la haute ambition pour la nature » proposant que 30 % des territoires deviennent des espaces protégés ; une coalition pour augmenter les financements publics et une autre pour les investisseurs privés ; une Grande muraille verte contre la désertification autour du Sahara ; une alliance de recherches sur la « prévention de l’émergence de zoonoses » (Prezode), etc.

Mais rien qui ne permette de tirer les leçons de dizaines d’années d’échecs en matière de politique de protection de la biodiversité. Rien qui n’interroge les raisons qui ont conduit à ce qu’aucun des vingt objectifs d’Aïchi pour la biodiversité, définis par la communauté internationale pour la période 2010-2020, n’ait été pleinement atteint. Rien qui ne questionne les moteurs économiques et financiers de la dévastation de la planète. Qui a écouté ce One Planet Summit ne pourra qu’avoir été surpris de l’auto-satisfecit permanent que les convives se sont décernés : comme s’il ne fallait rien changer en profondeur et comme si la communauté internationale allait une nouvelle fois tenter d’expliquer qu’apposer une cautère sur une jambe de bois pourrait être efficace.

Prenons un seul exemple. La France fait de l’objectif de 30% des espaces terrestres et maritimes sous protection l’étendard de l’ambition que les Etats de la planète devraient se donner d’ici à 2030 lors de la COP15. Pour donner l’exemple, Emmanuel Macron veut que la France atteigne ce cap d’ici à 2022. Sur le papier, il est même déjà atteint. Sauf que dans la réalité, seules 1,7% de ces zones sont sous protection forte, loin des 10% envisagés pour 2030. Le plus souvent là où il y a peu de monde, comme autour des îles Kerguelen et dans le nord de la Nouvelle-Calédonie. D’autre part, comme ailleurs sur la planète, le manque de moyens et de personnels est criant et le gouvernement continue à supprimer des postes dans les agences de protection de la biodiversité.

Brancher la finance sur la nature ?

Mais il y a plus insidieux et dangereux que le fait de fixer des objectifs insuffisants ou sans réel contenu. Tapi dans l’ombre de constats et objectifs consensuels, c’est un projet nocif qui prend corps peu à peu, pas à pas, et qui consiste à tenter de brancher la finance sur la nature. Si le propos ne consiste pas ici à en détailler tous les contours (voir la vidéo et les ressources ci-dessous), il suffit de s’arrêter sur le vocabulaire utilisé pour tenter d’en cerner l’ampleur : on ne parle plus de nature, mais de capital naturel, et même d’une « assurance-vie » qu’il faudrait protéger. Si les termes de banques de biodiversité et de compensation biodiversité, si décriés, tendent à disparaître, c’est pour laisser place aux termes de « solutions fondées sur la nature », de « zéro pertes nettes » et de « neutralité » qui font tous référence, directement ou indirectement, à des outils d’arbitrage de nature financière.

Combien vaut la pollinisation des plantes par les abeilles, le rôle des mangroves et des coraux, l’absorption du carbone par les arbres ? Voilà le genre de questions qui sous-tendent désormais les réflexions et politiques de protection de la biodiversité qui s’appuient sur ce concept de capital naturel : la nature n’est plus un tout aux fonctions écologiques entremêlées qu’il faudrait protéger globalement mais une somme de « services écosystémiques » que l’on pourrait séparer de façon analytique et évaluer sur le plan monétaire. Charge ensuite aux marchés, aux entreprises et aux Etats de mettre en place les bons outils pour attirer les financements nécessaires.

Ce travail de sape, entrepris il y a plus d’une vingtaine d’années désormais, nous conduit droit dans le mur. Les écosystèmes, complexes par nature, ne peuvent être réduits en éléments simples et échangeables les uns avec les autres, et ou évalués sur un plan monétaire pour inciter les acteurs privés et les marchés à s’en préoccuper. On l’a vu avec le marché du carbone qui, en raison de défaillances internes et d’effets d’aubaines pour les entreprises, a montrer que les marchés et les acteurs privés ne sont pas les mieux armés pour garantir la protection de la nature .

Le Prince Charles trace l’horizon de la finance verte

Sans doute est-ce le Prince Charles qui a été le plus clair dans l’énonciation de cet objectif visant à brancher la finance sur la nature : « faire du capital naturel un domaine d’investissements pour attirer plus de capitaux », précisant, comme nous le craignions dans un précédent billet, que « les objectifs de neutralité carbone » pris par de plus en plus de multinationales allaient « considérablement faire croître le marché de la compensation carbone ». Est-ce la perspective recherchée en matière de protection de biodiversité ? Est-ce le futur que nous désirons ?

Maxime Combes, économiste, en charge des enjeux commerce/relocalisation à l’Aitec et porte-parole d’Attac France. Auteur de « Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition » (Seuil, 2015). 

Pour aller plus loin : 

Source : Le blog de Maxime Combes
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/…