Par Moon of Alabama

Par Moon of Alabama – Le 21 décembre 2020

« Brouillard sur la Manche. Le continent est isolé » est un titre célèbre autrefois utilisé dans un journal britannique (ou peut-être pas). Il résume l’attitude snobinarde des Britanniques à l’égard de l’Europe. Un peu de brouillard s’est en effet levé sur la Manche aujourd’hui, mais un nuage beaucoup plus dense émergera des eaux le 1er janvier.

Une nouvelle variante du virus SRAS-CoV-2, désormais prédominant dans le sud de l’Angleterre, a donné un avant-goût du chaos auquel on peut s’attendre aux frontières britanniques dans dix jours, lorsque la Grande-Bretagne quittera l’union douanière et le marché commun européen.

On ignore encore dans quelle mesure le virus mutant va modifier le cours de la pandémie :

Pendant ce temps, les scientifiques travaillent d’arrache-pied pour déterminer si B.1.1.7 est vraiment plus apte à la transmission interhumaine – tout le monde n’en est pas encore convaincu – et si oui, pourquoi. Ils se demandent également comment le virus a pu évoluer si rapidement. B.1.1.7 a acquis 17 mutations d’un seul coup, une prouesse jamais vue auparavant. … Une raison de s’inquiéter, selon [Andrew Rambaut, un biologiste de l’évolution moléculaire à l’Université d’Edimbourg], est que parmi les 17 mutations, huit se trouvent dans le gène qui code la protéine de pointe à la surface du virus, dont deux sont particulièrement inquiétantes. L’une d’entre elles, appelée N501Y, a déjà montré qu’elle augmentait l’étroitesse de la liaison de la protéine au récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2, son point d’entrée dans les cellules humaines. L’autre, appelée 69-70del, entraîne la perte de deux acides aminés dans la protéine de pointe et a été trouvée dans des virus qui ont échappé à la réponse immunitaire chez certains patients immunodéprimés. …
Lors d’une conférence de presse tenue samedi, le conseiller scientifique en chef, Patrick Vallance, a déclaré que le B.1.1.7, qui est apparu pour la première fois dans un virus isolé le 20 septembre, représentait environ 26 % des cas à la mi-novembre. « Dans la semaine qui a commencé le 9 décembre, ces chiffres étaient beaucoup plus élevés », a-t-il déclaré. « Ainsi, à Londres, plus de 60 % de tous les cas provenaient de la nouvelle variante ». Johnson a ajouté que la multitude de mutations pourrait avoir augmenté la transmissibilité du virus de 70 %.

Christian Drosten, virologiste à l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin, estime qu’il est encore trop tôt pour le dire. « Il y a trop d’inconnues pour dire quelque chose comme ça », dit-il. D’une part, la propagation rapide de B.1.1.7 pourrait être due au hasard. Les scientifiques craignaient auparavant qu’une variante qui s’est rapidement répandue de l’Espagne au reste de l’Europe – appelée B.1.177 – soit plus transmissible, mais aujourd’hui ils pensent que ce n’est pas le cas ; elle a juste été transportée dans toute l’Europe par des voyageurs qui ont passé leurs vacances en Espagne. Quelque chose de similaire pourrait se produire avec le B.1.1.7, explique Angela Rasmussen, virologue à l’université de Georgetown. Mme Drosten note que le nouveau mutant porte également une délétion dans un autre gène viral, l’ORF8, qui, selon des études antérieures, pourrait réduire la capacité du virus à se propager.

Une quarantaine de pays ont réagi à la nouvelle concernant la nouvelle variante du virus en arrêtant le trafic aérien avec la Grande-Bretagne. La France a fermé toutes les liaisons de transport avec l’île. La Grande-Bretagne dépend de la nourriture provenant de l’étranger et on a immédiatement craint des pénuries d’approvisionnement :

Les supermarchés britanniques et les experts de la chaîne d’approvisionnement ont mis en garde contre une éventuelle pénurie de certains produits si les restrictions françaises ne sont pas assouplies prochainement. Le gouvernement britannique a tenu une réunion de crise lundi.

Une grande chaîne de supermarchés, Sainsbury’s, a déclaré avoir stocké suffisamment de produits pour empêcher les Britanniques de se priver de leurs dîners de Noël, mais a mis en garde contre une pénurie de certains fruits et légumes frais si la situation ne s’améliore pas bientôt.

« Si rien ne change, nous commencerons à constater des pénuries dans les prochains jours pour les laitues, les feuilles de salade, les choux-fleurs, les brocolis, les agrumes – qui sont tous importés de l’UE à cette époque de l’année », a déclaré Sainsbury’s dans un communiqué. « Nous espérons que les gouvernements britannique et français pourront trouver une solution qui donne la priorité au passage immédiat de produits et de denrées alimentaires », a déclaré Sainsbury’s.

La fermeture des voies de transport n’a guère de sens, car le cheval a déjà quitté la proverbiale étable. Le mutant B.1.1.7 a été observé pour la première fois le 20 septembre. Comme il est maintenant répandu dans le sud de la Grande-Bretagne, il a certainement déjà franchi les frontières et atteint d’autres pays. S’il a vraiment un avantage sur les autres variantes du virus en étant plus infectieux, il finira par être trouvé partout dans le monde.

La Grande-Bretagne dispose d’un excellent système intégré de surveillance des variantes du virus. Dans environ 5 % de tous les cas de Covid-19 en Grande-Bretagne, le génome du virus est séquencé. Les autres pays séquencent un cas sur 1000 ou même moins. Il n’y a aucun moyen de trouver et d’isoler tous les porteurs de la nouvelle variante.

Le proverbial brouillard dû à la nouvelle variante du virus devrait donc bientôt se dissiper.

Mais quelques jours plus tard, le brouillard se relèvera. Au cours des derniers jours, les chances d’un Brexit sans accord, au 31 décembre, ont fortement augmenté. Sans accord, le transfert facile de marchandises en provenance et à destination de la Grande-Bretagne prendra fin. Comme aucune nouvelle procédure n’a été mise en place, le chaos qui en résultera dépassera de loin tout ce que nous voyons aujourd’hui.

Yves Smith estime très faible la possibilité qu’un accord puisse être conclu. Son introduction est appropriée :

Il faut se demander si tout le mauvais karma accumulé par le Royaume-Uni à l’époque impériale s’est finalement retourné contre elle, en un désir de vengeance. Le Royaume-Uni a découvert que le bord de la falaise du Brexit est arrivé plus tôt, à cause du blocus dû au Covid imposé par ses partenaires commerciaux, alors que, comme nous le verrons bientôt, la vraie falaise du Brexit se rapproche dangereusement du Royaume-Uni.

Les dernières négociations de dimanche sur un accord qui permettrait à la Grande-Bretagne d’accéder au marché commun ont échoué. Il y a au moins deux questions en suspens. Les droits de pêche des pays de l’UE dans les eaux britanniques sont le sujet le plus populaire. Mais le sujet le plus important est celui des « conditions de concurrence équitables », qui signifie que la Grande-Bretagne doit respecter certaines règles européennes si elle veut bénéficier d’un libre accès au marché :

Comme le « au loup » de l’échéance du Brexit a été une fois de trop crié, la presse ne réagit pas assez à l’échec de l’accord conclu ce week-end. Cela ressemble même à la façon dont la version réelle est censée fonctionner, à savoir qu’il n’y a pas de changement évident lorsqu’un objet est irrévocablement aspiré dans le champ gravitationnel d’un trou noir. Les deux parties continuent bizarrement à parler d’un accord qui ne pourra jamais être conclu à temps, au lieu de se concentrer sur ce qui se passera le 1er janvier et sur ce qui peut être fait pour minimiser les dégâts.

En toute justice, l’UE semble maintenant prendre part à un exercice vide de sens, simplement pour prétendre qu’elle n’a pas quitté la table des négociations. Mais M. Barnier aurait besoin d’un nouveau mandat pour changer les choses, ou au moins de quelques orientations provisoires de la part de la Commission.

Mais les discussions semblent être terminées même si les deux parties se rencontrent encore. Les gros titres de la presse britannique donnent également l’impression que l’UE, qui pour les partisans du Brexit est synonyme d’intransigeance, a fait capoter l’accord, alors que le sujet des « règles du jeu équitables », d’une importance cruciale, n’est toujours pas résolue.

L’UE ne peut pas accorder à la Grande-Bretagne le libre accès à son marché tout en lui permettant de subventionner ses entreprises ou d’abaisser ses normes de travail, de santé ou de qualité. Cela donnerait aux entreprises britanniques un avantage déloyal sur celles de l’UE. Barnier, le négociateur en chef de l’UE, a ordonné de ne pas bouger sur cette question. Mais aux yeux d’un partisan du Brexit, des « règles du jeu équitables » signifient que la Grande-Bretagne doit suivre les règles de l’UE et qu’elle ne dispose donc pas d’une souveraineté totale. Si Boris Johnson ne fait pas un virage à 180 degrés et n’accepte pas aujourd’hui les clauses de « conditions de concurrence équitables », aucun accord ne sera conclu.

Tout ce qui sera négocié au-delà de ce jour ne pourra pas être ratifié par le Parlement européen avant le 1er janvier. Ceux qui s’attendent à ce que le Parlement européen esquive le problème et laisse passer un accord sans avoir suffisamment de temps pour l’examiner se méprennent sur l’humeur de Bruxelles.

C’est fini. Le Brexit est terminé. Malheureusement, cela a été fait de manière à maximiser les dégâts qu’il causera.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

Source : Le Saker
https://lesakerfrancophone.fr/…