Par Tamara Nassar
Les Etats Unis ont négocié ces derniers mois quatre accords de normalisation entre Israël et des pays arabes et les ont présentés comme des traités de paix.
L’administration Trump a utilisé un mélange d’intimidation et d’incitations pour faire aboutir certains de ces accords.
La semaine dernière, le Maroc est devenu le dernier Etat arabe à établir des relations diplomatiques pleines et entières avec Israël, normalisant des années de relations clandestines entre les deux pays.
« Nos deux grands amis, Israël et le royaume du Maroc, se sont mis d’accord sur des relations diplomatiques pleines et entières », a annoncé le président Donald Trump le 10 décembre sur Twitter.
Trump a également annoncé qu’il « avait signé une déclaration publique reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental ».
La décision du Maroc d’établir des relations diplomatiques avec Israël semble avoir été prise en échange de l’accord de l’administration Trump pour reconnaître l’occupation du Sahara Occidental par le Maroc.
Bien que la déclaration officielle de la Maison Blanche ne lie pas explicitement l’accord de normalisation à la reconnaissance de la revendication du Maroc, elles ont été annoncées ensemble.
Les Marocains rejettent la décision
La société civile palestinienne a condamné la « trahison » des Palestiniens par le gouvernement marocain et a salué « les Marocains qui ont unanimement rejeté la normalisation des relations avec Israël par le régime marocain ».
D’après un récent sondage organisé par le Centre Arabe pour la Recherche et les Etudes Politiques, 88 pour cent des Marocains rejettent la reconnaissance d’Israël par leur pays.
Les autorités marocaines ont empêché par la force lundi dans la capitale Rabat une manifestation contre la décision du gouvernement.
« Les Marocains ont toujours considéré Israël comme leur ennemi et l’ennemi de tous les peuples de la région », a déclaré le Comité National BDS (BNC), coalition de la société civile qui dirige le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions.
Liens historiques
L’accord n’est ni « surprenant ni inhabituel étant donnée la longue histoire des relations secrètes et ouvertes « entre les deux pays », a ajouté le BNC.
En réalité, l’accord que Trump considère comme « historique » formalise simplement des décennies de coopération militaire secrète et d’échange de renseignements entre Israël et le Maroc.
L’agence israélienne de renseignement étranger, le Mossad et l’Agence Juive ont fait sortir clandestinement les Juifs marocains de leur pays, parfois par la force, dans les jours qui ont suivi la création d’Israël.
En 1965, le Maroc a autorisé le Mossad à mettre sur écoute les salles de réunion de responsables arabes à Casablanca, donnant à Israël un coup de pouce dans la guerre de 1967, d’après une interview d’un ancien responsable militaire israélien par le New York Times.
Egalement en 1965, le Mossad a collaboré à l’enlèvement et à l’assassinat du leader de l’opposition de gauche marocaine Mehdi Ben Barka.
Illustration de ces liens de longue date, l’ancien Premier ministre d’Israël Ehud Barak a tweeté une photo de lui avec le Roi Mohammed du Maroc quand il était beaucoup plus jeune.
Barak a ajouté qu’il l’avait rencontré pour la première fois 42 ans plus tôt, quand il avait 15 ans, dans le palais de son père, feu le Roi Hassan II.
Récompenses
Le BNC a affirmé que les Etats Unis, « puissance impérialiste qui ne cesse de faire la guerre contre les peuples du monde et leurs aspirations à la liberté, l’indépendance et le développement, est impropre à être une référence juridique et morale pour la résolution des conflits ».
Cela faisait référence à la reconnaissance par Trump de la revendication du Sahara Occidental par le Maroc.
Colonie espagnole jusqu’en 1975, le Sahara Occidental est à la frontière du Maroc, de l’Algérie et de la Mauritanie et a été qualifié de « dernière colonie d’Afrique ».
Avec une population de plus d’un demi million de personnes, le Sahara Occidental est reconnu par les Nations Unies comme un Territoire Non Autonome qui n’est pas encore parvenu à l’autodétermination.
Avec le soutien de la France et des Etats Unis, le Maroc occupe la grande majorité du territoire depuis les années 1970, contre la résistance du Front Polisario, créé en 1973 pour libérer le Sahara Occidental de l’autorité espagnole puis marocaine.
Le Polisario, ainsi que le gouvernement Sahraoui qui administre quelque 20 pour cent du territoire, ont condamné la décision de Trump de remettre au Maroc « quelque chose qui ne lui appartient pas », a dit ce groupe aux médias français.
Les mouvements de libération palestiniens et sahraouis avaient précédemment organisé de la solidarité entre eux.
George Habash, feu leader du Front Populaire de Libération de la Palestine, avait visité les camps de réfugiés des Sahraouis en 1979.
Dans un discours qu’il y prononça, Habash félicita les Sahraouis pour la défaite des colonisateurs espagnols et pour leur combat contre l’autorité marocaine.
« Nous l’avons ressenti comme si vous combattiez à nos côtés dans les tranchées contre les ennemis de la révolution palestinienne », a-t-il ajouté.
Avec des mots qui résonnent aujourd’hui, Habash a affirmé que « dans la révolution palestinienne, nous ne luttons pas que contre Israël et les Sionistes, nous luttons contre les forces arabes rétrogrades qui s’alignent sur le mouvement sioniste ».
Pendant ce temps, les Etats Unis sont près de conclure la vente d’au moins quatre drones avancés au Maroc.
On dit que le Département d’État a approuvé la vente, mais qu’elle devrait encore être votée par le Congrès. On ne sait pas encore clairement si les drones arriveraient équipés d’armes.
On ne sait pas clairement non plus si la vente est impliquée dans l’accord de normalisation.
L’administration Trump a approuvé en novembre la vente de 50 jets de combat F-35 aux EAU dans le cadre d’un marché d’armes de 23 milliards de dollars. Le refus initial d’Israël de donner sa bénédiction à cette vente d’armes avait été un contretemps, mais le marché a été passé après l’accord de normalisation entre Israël et les EAU.
Chantage et récompenses
Après les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et le Soudan, le Maroc est la quatrième nation arabe à normaliser ses relations avec Israël sous l’administration Trump – accords qui ont comporté à la fois des récompenses et des menaces.
Le gouvernement transitoire du Soudan a accepté en octobre d’établir des relations diplomatiques pleines et entières avec Israël dans le cadre d’un accord plus large pour l’intégrer fermement dans le giron américain.
Un porte-parole du gouvernement soudanais a récemment révélé que le pays subissait de « lourdes pressions » de la part des Etats Unis pour qu’il normalise ses relations en échange du retrait du Soudan de la liste américaine des pays qui soutiennent prétendument le terrorisme.
« Il a été dit clairement [que] c’était lié », a dit le ministre soudanais de l’Information Faiçal Mohamed Salih à la chaîne iranienne Press TV.
« ‘Si vous voulez que le Soudan soit retiré de [la liste américaine des états qui soutiennent le terrorisme], alors vous devez normaliser la relation avec Israël’. C’était une situation très difficile », a-t-il dit.
Salih a dit au correspondant de Press TV Ahmed Kaballo que le gouvernement transitoire du Soudan « avait insisté » pour garder les deux questions séparées quand le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo était venu à Khartoum pour des pourparlers.
Le retrait du Soudan de la liste a été perçu comme une motivation essentielle pour avancer vers la normalisation.
Les plus jeunes « veulent n’importe quoi qui aiderait à relancer l’économie », a dit Kaballo à la journaliste Anya Parampil de The Grayzone.
« Ils n’aiment pas le régime israélien, ils n’aiment pas les crimes contre les Palestiniens », a ajouté Kaballo. « Mais ils pensent que si les relations avec Israël sont normalisées, cela permettra des investissements étrangers, cela améliorera la situation économique, et ça c’est un prix qu’ils acceptent de payer.
On peut s’attendre à des traités officiels une fois que le Soudan aura formé un gouvernement permanent.
Le Pakistan à la une
Le mois dernier, les gros titres déclaraient que l’Arabie Saoudite pressait le Pakistan à nouer des liens diplomatiques avec Israël.
Des rumeurs ont surgi après qu’on ait interrogé le Premier ministre du Pakistan Imran Khan à propos de pressions sur Islamabad pour normaliser les liens avec Israël dans une interview avec le radiodiffuseur local GNN.
« Quelles pressions subissez vous pour reconnaître Israël ? » a demandé l’interviewer à Khan.
« La pression vient du fait qu’Israël a une grande influence sur l’Amérique », a dit Khan, ajoutant qu’elle s’était accrue avec l’administration Trump.
« Maintenant, nous n’avions jamais pensé que nous pourrions reconnaître Israël. »
Khan a ajouté que, depuis la création du Pakistan, sa politique avait été que, jusqu’à ce que les Palestiniens « obtiennent leurs droits et une solution équitable », il ne pourrait jamais y avoir de reconnaissance.
Lorsqu’on lui a demandé si les états musulmans – faisant probablement référence à l’Arabie Saoudite – exerçaient des pressions sur le Pakistan pour qu’il reconnaisse Israël, Khan a demandé à l’interviewer de passer à ses autres questions.
Le gouvernement pakistanais a traité d’« inventions » les rapports disant que les Etats Unis exerçaient des pressions pour qu’il reconnaisse Israël et a réaffirmé sa position sans équivoque comme quoi il ne reconnaîtrait pas Israël tant que les Palestiniens n’obtiendraient pas la totalité de leurs droits.
« Le peuple pakistanais ne succomberait jamais à ces pressions » a récemment écrit l’universitaire pakistanais Junaid S. Ahmad.
« Il a toujours été solidaire des Palestiniens et des Kashmiris, et aucune force de contrainte ne fera faiblir leur résolution », a-t-il ajouté.
« On trouve difficilement une population plus pro-palestinienne que les Pakistanais. »
Ali Abunimah a contribué à ce reportage.
Cet article a été mis à jour depuis sa publication initiale.
Source : The Electronic Intifada
Traduction : J. Ch. Pour l’Agence Média Palestine
Source : Agence Media Palestine
https://agencemediapalestine.fr/…
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